Vercingétorix « créateur de la nation française » ?

Les médias fabriquent souvent des polémiques à partir de rien, et particulièrement quand il s’agit d’histoire. Parmi elles, l’emplacement d’Alésia. Alors que la majorité des spécialistes d’histoire gauloise et romaine situent le lieu de la défaite de Vercingétorix en Bourgogne, les médias ont choisi de donner un éclairage particulier à la thèse de Danielle Porte qui affirme que la bataille se serait déroulée dans le Jura. La récente sortie d’une biographie de Vercingétorix par la latiniste (Vercingétorix, celui qui fit trembler César, éditions Ellipses) est l’occasion de revenir sur cette querelle autour de l’emplacement d’Alésia, et sur l’image de Vercingétorix comme personnage de l’histoire de France. Il ne s’agit pas ici de trancher le débat, mais de montrer en quoi il n’a rien d’anodin. Car au-delà d’une polémique médiatique, les enjeux sont également économiques et politiques.

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Vercingétorix comme on se l’imaginait au XIXe siècle, « Tour de France par deux enfants », 1877, page 137.

Sans entrer dans les détails, il faut tout de même résumer cette « nouvelle bataille d’Alésia », comme la nomme le site Herodote.net. C’est depuis Napoléon III que l’emplacement de l’oppidum qui a vu la défaite de Vercingétorix est situé par les historiens à Alise Sainte-Reine, en Bourgogne. Ce n’est qu’en 1962 que la thèse de cet emplacement est sérieusement contestée, par un archéologue, André Berthier, qui s’appuie sur les textes (en fait uniquement La Guerre des Gaules, de César) qu’il croise avec des cartes d’état-major. Pour lui, Alésia se serait déroulée dans le Jura, près de Chaux-des-Crotenay. Il entame alors des fouilles (avec le soutien de Malraux), qu’il ne peut achever. La polémique est finalement relancée quarante ans plus tard, et particulièrement en 2008, à l’occasion de l’annonce de la création du MuséoParc à Alise Sainte-Reine. L’une des premières réactions est le livre de Franck Ferrand, L’histoire interdite. Révélations sur l’histoire de France (Tallandier, 2008), qui défend la théorie de Berthier, reprise en 2004 par Danielle Porte (L’imposture Alésia, Liralésia). Friands des polémiques autour de l’histoire et de ses « mystères », les médias s’emparent du sujet, et notamment Canal Plus, qui diffuse le 12 décembre 2008 un documentaire, « Alésia, la bataille continue ». Cette émission provoque la colère des historiens et archéologues travaillant sur le MuséoParc, parmi lesquels Michel Reddé (EPHE) et Christian Goudineau (Collège de France), qui dénoncent la « désinformation » de ce documentaire « partial et incomplet ». C’est toutefois l’occasion de répondre concrètement à Danielle Porte et aux partisans du Jura, en montrant les indices et les traces qui, selon eux, prouvent qu’Alésia s’est bien déroulée à Alise Sainte-Reine. Cela n’éteint pas pour autant la polémique, relancée en 2009 par Ferrand (qui s’est aussi senti visé par les critiques des historiens représentant cette « institution » qu’il abhorre tant), puis en 2012 quand un architecte et polémologue, François Chambon, prétend prouver grâce à des photographies aériennes (la technologie LIDAR, qui serait d’origine militaire…) que le site d’Alésia serait bien dans le Jura. Cette fois, c’est le spécialiste de l’armée romaine Yann Le Bohec qui réfute l’argument de Chambon et des partisans de Chaux-des-Crotenay, qui réclament en vain de nouvelles fouilles sur place. Le débat n’est pas clos aujourd’hui, alors que le MuséoParc a bien ouvert à Alise Sainte-Reine et qu’il connaît un grand succès.

Une querelle stérile et sans enjeux ?

Tout ceci pourrait passer pour une banale querelle d’historiens et on peut même se demander s’il est si important de connaître l’emplacement exact de cette bataille, dont l’existence et l’issue, rassurons-nous, ne sont, elles, pas contestées.

FranckPourtant, les enjeux sont majeurs à plusieurs niveaux. L’histoire de « nos ancêtres les Gaulois » a toujours passionné historiens et politiques soucieux de trouver les « origines de la France ». Nous renvoyons pour un développement précis et détaillé à l’ouvrage du même nom de Sylvain Venayre. La bataille d’Alésia a également été vue comme « une défaite fondatrice » ; elle faisait d’ailleurs partie des choix possibles pour marquer le début de l’histoire de France, dans le cadre de la controversée Maison de l’histoire de France. Ce n’est donc pas un hasard si l’ancien Premier ministre, François Fillon, dont le président et le gouvernement ont tant usé de l’histoire à des fins politiques, a pu voir en Alésia une « légende », une de ces « défaites fondatrices » qui aurait permis à la « France » (sic) de se rassembler. A l’instar de Jean-François Kahn dans son récent L’invention des Français. Du temps de nos folies gauloises, F. Fillon va même jusqu’à affirmer : « il me plaît de penser que nous sommes tous un peu gaulois : indisciplinés, téméraires, capables de vouloir l’impossible et d’y arriver pourtant » (discours à l’occasion de l’inauguration du MuséoParc, le 22 mars 2012). Mais François Fillon n’est pas le seul homme politique récent à utiliser la référence gauloise, loin s’en faut. C’est une habitude partagée par la droite et la gauche, dont l’un des exemples les plus flagrants est le rapport très intime (il a voulu s’y faire enterrer) de l’ancien Président de la République, François Mitterrand, avec Bibracte, l’oppidum éduen où Vercingétorix aurait uni les tribus gauloises, et où Jules César aurait rédigé sa Guerre des Gaules

La querelle sur l’emplacement cache d’autres choses encore. Bien entendu, des enjeux économiques. Le succès du Puy-du-Fou a probablement donné des idées à beaucoup (notamment à ceux qui militent pour un « Parc Napoléon » à Montereau…), et l’État tout comme les collectivités locales ont investi des dizaines de millions d’euros dans le MuséoParc. À l’inverse, ce n’est pas un hasard si Danielle Porte a trouvé du soutien chez les élus locaux dans le Jura…

Pourtant, c’est probablement à la figure de Vercingétorix, et à son image de « grand vaincu » qu’il faut s’arrêter pour expliquer l’importance de la polémique, et surtout les raisons de la thèse défendue par Danielle Porte. Sa biographie sur le chef gaulois est pour cela très éclairante. La défaite d’Alésia semble être pour la latiniste une tâche qu’il s’agirait d’effacer. Comment un chef si habile pendant une grande part de la campagne aurait-il pu se laisser aussi facilement piéger sur un site comme Alise Sainte-Reine ? Implicitement, comment la France pourrait-elle être née d’une défaite ? Réhabiliter Vercingétorix, Danielle Porte ne s’en cache pas, et se livre à de curieux raccourcis pour quelqu’un prétendant accomplir un travail d’historien. En effet, elle présente l’Arverne comme celui qui aurait donné « un socle idéologique au beau pays de France » (p 372), et va plus loin encore en faisant de lui le créateur de la nation française : « qu’on le veuille ou non, Vercingétorix fut bel et bien le créateur de la nation française, en ce que, tout le premier, il rassembla autour d’une seule idée, la Liberté, les forces vives de quarante-deux tribus » (p 372) ! Devançant les critiques, et à l’image des historiens de garde comme Ferrand (à qui elle dédicace son livre), la latiniste fustige l’historiographie actuelle, qui se complairait dans une « hypercritique [qui finirait] par nous faire douter que César fût même allé en Gaule pour vaincre cet inconnu » (p 7) Des historiens officiels dont la mode serait au déboulonnage des héros, au profit des « anti-héros » (p 373)…

La polémique sur l’emplacement d’Alésia dépasse donc largement la querelle d’historiens. Elle engage une véritable vision de la France et de ses origines, et se pose comme un exemple de l’usage public et politique, mais aussi économique, de l’histoire. Elle est également symptomatique du rôle des médias dans l’approche de l’histoire pour le grand public. Comme le montre Jean-Paul Demoule, ils vont s’intéresser à un débat historien s’il est simple et binaire, opposant des amateurs passionnés (ou présentés comme tels) à des scientifiques représentant une pensée « officielle » fantasmée. Peu importe les faits, seul l’affrontement compte, et les médias ont bien souvent choisi leur camp à l’avance.

Christophe Naudin

Bibliographie et sources internet :

 

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