Lorànt Deutsch et Jeanne d’Arc

Lorànt Deutsch n’hésite pas non plus à prendre pour argent comptant des mythes. Ainsi, page 282 de Métronome, fait-il de Jeanne d’Arc la demi-soeur « cachée » de Charles VII. Cette fois, il fait preuve d’un minimum prudence en employant un vague « peut-être », prudence qu’il abandonnera quelques mois après la sortie de son ouvrage lors d’une interview donnée au site L’Internaute le 28 novembre 2009 pour être bien plus affirmatif (voir plus bas), en citant ce qu’il estime être sa « source », le livre d’un journaliste, Jean Gay, L’affaire Jeanne d’Arc.

Or, cet ouvrage a été largement désavoué par des historiens spécialistes de la question, dont Colette Beaune qui, dans son Jeanne d’Arc, Vérité et légendes1 consacre ainsi un chapitre complet à démonter la prétendue bâtardise royale de Jeanne d’Arc. Ce mythe n’a aucun fondement médiéval, mais a été inventé en 1805 par Pierre Caze, un sous-préfet du Premier Empire, pour les besoins d’une pièce de théâtre dans laquelle il faisait un parallèle opportun entre le duo Jeanne/Charles VII et Lucien/Napoléon Bonaparte.

S’il convient donc de ne pas jeter la pierre à M. Deutsch pour cette erreur, il faut néanmoins de s’intéresser aux raisons qui l’ont amené à prendre cette légende pour argent comptant. Sur le plateau de L’Internaute en novembre 2009, la journaliste Jennifer Durand pointe du doigt son manque d’argument sur la question (« Dans le livre, vous émettez cette thèse que Jeanne d’Arc serait en fait la fille illégitime d’Isabeau de Bavière […] et vous vous arrêtez là.. »), Examinons la réponse de l’acteur en la commentant au fur et à mesure :

Ah non, je ne m’arrête pas là. Je l’explique un petit peu.

[Sauf qu’il ne le fait pas. Sauf à considéré les trois lignes de la page 282 comme des explications suffisantes]

Il y a beaucoup de livre sur cette thèse.

[Non, récemment, il n’y en a eu à notre connaissance qu’un seul. Le reste date d’avant-guerre.]

Mais moi, c’est comme vous voulez. Soit vous préférez qu’elle ait entendu des voix et qu’une bergère lorraine […] ait pu savoir s’armer en trois semaine, monter à cheval en armure, aller reconnaître le roi […] si vous préférez croire ça, aucun problème, c’est votre histoire. Moi mon histoire c’est qu’en fait elle est effectivement de sang royal. »

[L’acteur continue en donnant enfin sa source, le livre de Jean Gay]

« Parce que je cite mes sources, il y a un livre magnifique de… je ne sais plus comment il s’appelle… de Pierre Zay [sic] qui a fait un bouquin […] il est passionnant, pertinent, lui donne tous les arguments, et voilà, je cite ma source.

Outre les affabulations (l’acteur prétend citer ses sources dans son livre, ce qui n’est pas le cas), il est intéressant de noter que, pour Lorànt Deutsch, seule une personne de sang royal peut assumer un destin aussi conséquent que celui de Jeanne d’Arc. Impossible que cela soit le fait d’une simple « bergère » (ce que Jeanne n’était pas au passage. Elle était fille de paysan aisé). Les monarques sont donc, à son avis, les moteurs privilégiés de l’histoire. Une caractéristique qui se retrouve souvent dans Métronome.

William Blanc

  1. Beaune Colette, Jeanne d’Arc, vérité et légende, Paris, Perrin, 2008 p. 47-69. Voir aussi l’article « Pierre Caze » dans Contamine Philippe (dir.), Jeanne d’Arc, Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2011, page 602-603

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