Philippe de Villiers, Lorànt Deutsch et le général de Charette…

Philippe de Villiers est en passe de prendre sa carte de membre permanent des historiens de garde1. L’ancien président du conseil général de la Vendée vient en effet de sortir un livre consacré à Charette, l’un des chefs militaires des guerres de Vendée (côté « blanc ») intitulé Le roman de Charette. Roman ? Donc fiction. Eh non, car, comme Lorànt Deutsch, Philippe de Villiers, interviewé le 31 octobre 2012 sur France 3 Pays de Loire, laisse planer l’ambiguïté quant à la nature de son travail. « Le titre de mon livre est trompeurLE_ROMAN_DE_CHARETTE_couv_dos335.indd, car Le Roman de Charette n’est pas un roman mais une histoire vraie : c’est la vie de Charette qui est un roman2. » L’homme politique affirme donc faire un travail d’historien, qu’il appuie sur des sources inédites : « Je suis entré dans des familles de Bretagne et de Vendée, on m’a ouvert des portes et des archives privées3. »
Il n’est pas question pour nous de nous prononcer sur le fond de l’ouvrage, travail que nous laissons aux historiens spécialistes de la période. Par contre, la tournée de promotion du livre et le discours que M. de Villiers développe à cette occasion nous ont semblé révélateurs des convergences d’analyses entre les historiens de garde et certains milieux politiques.

FRANCE TÉLÉVISION : ENTRE ALLIÉS OBJECTIFS ET « COMMUNISTES INCULTES » ?

Une fois encore, les réseaux médiatiques classiques des historiens de Garde sont entrés en branle. La chaîne Histoire (toujours dirigée par Patrick Buisson) reçoit ainsi Philippe de Villiers le 30 novembre 2012 dans l’émission Historiquement Show. Quinze jours plus tôt, le Figaro consacrait un article dithyrambique au livre de l’ancien ministre en expliquant qu’il portait « haut l’art de la vulgarisation. » Le 25 novembre 2012, P. de Villiers est invité à parler de son livre par l’association Renaissance Catholique dont de nombreux membres écrivent dans le très contestable Figaro Histoire4.
Mais c’est sur l’antenne locale de France 3, le 31 octobre 2012, que P. de Villiers commence sa tournée de promotion. Le service public télévisuel reste un allié indéfectible des historiens de garde. Outre Métronome, il a également programmé quatre fois en moins d’un an l’émission de Franck Ferrand, « Robespierre, bourreau de la Vendée ? », émission largement critiquée par les spécialistes de la période. Philippe de Villiers reconnaît lui-même que se programme se résume à un véritable outil de propagande pour ses idées. Selon, lui, elle aurait ainsi fait sauter les lignes du « périmètre sanitaire5 » bien qu’elle soit diffusée

sur une chaîne nationale peuplée de communistes, France 3. Ils sont tellement incultes qu’ils ont laissé passer deux fois la même émission sur la Vendée.

Derrière le mépris évident, on devinera que, pour l’ancien ministre, l’Histoire se résume à un conflit idéologique. Lui-même voit son livre non pas comme un moyen de réfléchir sur un événement passé (ici, les guerres de Vendée), mais comme un prolongement de son engagement politique : « j’ai écrit ce livre Charette, qui n’est pas un roman […] pour que la Vendée on l’aime6. »

CHARETTE, UN HÉROS PARTAGÉ, UN HÉROS PRÉTEXTE

Philippe de Villiers l’annonce à corps et à cris. Outre un spectacle programmé au Puy du Fou sur Charette, le vicomte l’annonce bien haut : « Le Roman de Charette est parti à Hollywood7 » avant de se mettre à rêver d’une adaptation cinématographique. Un rêve que caresse aussi Lorànt Deutsch. Interviewé par Franck Ferrand le 11 décembre 2010, il en fait son héros favori et affirmait vouloir porter sa vie à l’écran8 avant de se replier sur une adaptation en BD annoncée incessamment.
Pourquoi une telle mise en avant de Charette ? L’homme en fin de compte n’est qu’un prétexte pour récréer une légende héroïque des combattants vendéens blancs, mais surtout de faire sauter les lignes du « périmètre sanitaire » qui entoureraient l’histoire de la Révolution française. Il s’agit, pour Philippe de Villiers, d’affirmer que la Révolution est un bloc de Terreur digne des pires horreurs du XXe siècle. Il suffit, pour s’en convaincre, de se repasser lentement une phrase :

La fameuse phrase de Robespierre : « Rendons-le responsable du mal que nous leur faisons. » Vieux truc de Lénine et de Pol-Pot ! Rendre les Vendéens responsables du mal que la Révolution leur fait.

Robespierre serait donc un dictateur qui serait allé chercher ses inspirations chez Lénine et Pol Pot (il aurait repris leur « vieux truc »), et la Révolution serait donc fille des régimes totalitaires du XXe siècle. Pour promouvoir cette vision rétrospective que partage également Lorànt Deutsch, Philippe de Villiers était accompagné le 29 janvier par un personnage sulfureux, Reynald Seycher, promoteur acharné de la théorie du génocide vendéen. Il n’est pas question pour nous ici de faire la critique de ce concept largement rejeté par les historiens. Remarquons seulement que Seycher, le temps d’une intervention, se montre non seulement enthousiaste à propos du livre de Philippe de Villiers, mais également du Puy du Fou, parc d’attractions fondé par ce dernier (et auquel a participé Lorànt Deutsch) et que Seycher assimile nettement à une arme de propagande.

UN ACTE DE FOI

Philippe de Villiers et Reynald Secher ne sont pas des hommes isolés. Dans la salle (hors champ) se trouvait Dominique Souchet, parlementaire MPF qui déposa le 3e projet de loi visant à reconnaître le « génocide » vendéen. Depuis, un quatrième projet (le troisième depuis 2007) a été déposé avec le concours de Marion Maréchal Le Pen. Cette loi, pour Philippe de Villiers, n’est sans doute qu’une étape :

Au fond, pourquoi il y a un périmètre sanitaire, pour protéger quoi ? Et bien pour protéger la Révolution française. Aujourd’hui la nouvelle ligne de défense des gens intelligents qui sont prêts à lâcher quelque chose pour ne pas lâcher l’essentiel ça consiste à dire : « Oui, c’est une gigantesque bavure, on ne peut pas la cautionner. Mais ça ne met pas en cause le principe même de la Révolution française. » Et bien moi je le dis solennellement ici ce soir. Je pense que la Terreur elle est dans l’ADN de la Révolution française9.

Quant à savoir pourquoi le révolutionnaire serait devenu des criminels, Philippe de Villiers s’en explique très simplement : ils se positionnaient « hors le mystère de l’Incarnation10. » On l’aura compris, pour l’ancien ministre, l’Histoire, la politique, et la vie de chaque individu se résume en fait à un acte de foi.
Tout cela ne serait en fin de compte pas grave si ces propos restaient cantonnés au petit cercle des nostalgiques de l’Ancien régime. Mais il est inquiétant de constater qu’ils infusent bien au-delà. « Le périmètre sanitaire, il a explosé », explique en exultant Philippe de Villiers à Nantes. Un mois plus tôt, il se félicitait : « Le meilleur papier est paru dans Libération. » En effet, le 2 novembre 2012, Christophe Forcari, dans le quotidien, exonère l’ancien ministre de toute velléité idéologique.

Philippe de Villiers ne tombe pas dans le travers d’opposer le gentil chef chouan aux cruels Bleus, ou d’en profiter pour délivrer un quelconque message contre-révolutionnaire.

Plus incroyable, le journaliste va même jusqu’à prêter à l’ancien ministre un rôle historiographique. Ses analyses auraient été rétrospectivement démontrées par des études historiques.

Le créateur du Puy du Fou avait été taxé de révisionnisme historique dans la manière dont il présentait cet épisode de la Révolution française. Depuis, des études historiques ont montré que les troupes dépêchées par la Convention avaient bien pratiqué la politique de la terre brûlée et commis nombre de massacres11.

Des études historiques ? Lesquelles ? C. Forcari ne le précise pas. Lui aussi se serait-il laissé berner par les sirènes des historiens de garde ?

William Blanc

PS : pour une analyse complète des guerres de Vendée, voir cette tribune de Jean-Clément Martin, historien spécialiste de la question : « Il y eut des crimes de guerre mais pas de politique génocidaire », paru le 29 janvier 2013 dans L’Humanité.

  1. Nous l’avions brièvement évoqué dans Les HdG à propos de son parc d’attractions, le Puy du Fou
  2. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  3. Ibidem.
  4. Voir l’article du site aggiornamento.hypotheses.org à ce sujet
  5. Conférence donnée à Nantes le 29 janvier 2013.
  6. Ibidem.
  7. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  8. Voir également ce lien
  9. Conférence donnée à Nantes le 29 janvier 2013.
  10. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  11. Pour ces deux citations, cliquez sur le lien

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