Quelle histoire se cache derrière Dimitri Casali…

Pour Dimitri Casali, l’Histoire est avant tout un réservoir d’arguments pour justifier ses opinions politiques. En résumé, la France est malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie. Analyse d’une interview d’anthologie.

Dimitri Casali ne fait pas de l’histoire pour rien. Reproduisant le même livre à chaque rentrée afin de tonner contre la soi-disant disparition de l’histoire nationale1, devenu directeur de collection à L’Express, spécialiste autoproclamé de tout (et donc de rien), son combat est devenu une petite entreprise qui ne connaît pas la crise.
Mais Dimitri Casali écrit aussi de l’histoire dans une perspective purement politique. Pour lui, le passé n’est qu’un réservoir d’argument pour justifier des partis pris contemporains. Un exemple frappant de cette méthode reste l’interview croisée qu’il a donnée au site Altantico.fr le 7 janvier 2013, intitulée « 1789-2013 : la crise va-t-elle nous mener vers une nouvelle Révolution ? »

Un constat : C’est la crise !

On aura compris, dans l’interview, Dimitri Casali compare la France contemporaine à celle de 1789.

En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnements du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre.2

"Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation." D. Casali. On remarquera l'aigle impérial porté en badge par Dimitri Casali.
« Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation. » D. Casali.

On pourrait s’interroger sur la validité d’une telle comparaison. Mais D. Casali use de l’analogie historique non pas pour éclairer, pour faciliter la compréhension, mais pour faire un constat : selon lui, la situation est bien pire qu’en 1789… et ce pour plusieurs raisons.

Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage…), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). À cela vient aujourd’hui s’ajouter une crise supplémentaire à savoir la crise identitaire qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.

La crise identitaire, depuis Max Gallo, est devenue un véritable leitmotiv des historiens de garde (notamment de Stéphane Bern). Cette ellipse, pleine de sous-entendus, permet évidemment de pointer du doigt l’immigration actuelle (et pas n’importe laquelle3) qui affaiblirait l’identité de la France (tout en sous-entendant que l’Ancien Régime était plus stable). Mais Dimitri Casali ne s’arrête pas en si bon chemin.

La situation est même d’un certain point plus paralysante qu’a l’époque puisque Louis XVI contrôlait le pays avec 60 000 fonctionnaires (pour 26 millions d’habitants) alors qu’ils sont aujourd’hui 6 millions en comptant le personnel des hôpitaux (pour 65 millions d’habitants NDLR). Ce chiffre illustre parfaitement notre gabegie de la dépense d’État et il est aberrant de voir que nous continuons dans ce contexte de recruter dans les collectivités territoriales. Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général.

Dimitri Casali sait pertinemment que le faible nombre de « fonctionnaires » sous Louis XVI s’explique du simple fait que la plupart des missions régaliennes, y compris la perception des impôts, étaient confiées à de riches particuliers (à travers des institutions comme la Ferme générale). L’armée était en partie constituée de mercenaires, et l’éducation publique, la santé, les transports publics, les pompiers, la police, les services culturels, les musées, les bibliothèques publiques, les archives publiques étaient inexistants ou presque4. Est-ce à cela qu’il faudrait revenir ? Sans doute si on suit le raisonnement de Dimitri Casali qui voit dans les fonctionnaires des « privilégiés » dignes de la noblesse5 Le cantonnier payé à peine plus que le SMIC appréciera.

La solution : l’homme providentiel.

La crise est donc, pour D. Casali, bien plus importante qu’en 1789. mais que les lecteurs se rassurent, il a trouvé la solution :

Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2013 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République.

On connaissait la fascination de D. Casali pour les « grands hommes », Napoléon en tête. Dans ces livres, il en fait les seuls héros de l’histoire de France, la source de toutes les réussites, de toutes les gloires au point d’être parfois très indulgents avec eux. Ainsi a-t-il expliqué sur les ondes d’Europe 1 le 2 septembre 2013, au micro de Franck Ferrand, la dictature pétainiste par une prétendue sénilité de Philippe Pétain.

De cette fascination pour les grands hommes, D. Casali en tire les conséquences politiques. Seul l’un d’entre eux peut sauver la France (de l’immigration et des fonctionnaires, si l’on suit son raisonnement) et son avènement est assimilé à un « changement radical ». Pas question d’injecter plus de démocratie, pas question de réformer la république, ces deux mots n’apparaissent pas dans ces propos, sauf dans l’exergue de l’interview (rédigée par le site Atlantico.fr) :

Comme la Monarchie absolue avant elle, la Ve République, plombée par une dette étouffante et paralysée par l’immobilisme démocratique6

La France, malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie… voilà une des belles leçons de l’histoire façon Dimitri Casali.

William Blanc

PS : Dimitri Casali a été invité le 10 novembre 2011 par l’UMP à son atelier sur La nation (organisé à la demande du courant populiste de la Droite Populaire). Il est intéressant de noter que les propos de D. Casali (malheureusement pas rapportés in extenso par Le Monde) ont choqué y compris dans les rangs de l’UMP.

Dimitri Casali à l'atelier de l'UMP le 10 novembre 2011.
Dimitri Casali (à gauche) à l’atelier de l’UMP le 10 novembre 2011.
  1. Sur le dernier ouvrage en date, voir les excellents articles d’Éric Fournier et de Laurence de Cock parus sur le site aggiornamento.hypotheses.org
  2. Les passages en gras sous de notre fait.
  3. Selon un article du Monde daté du 10 novembre 2011 (voir le post-scriptum de notre article), Dimitri Casali aurait fustigé « un déficit d’intégration, une mauvaise maîtrise du français et une ghettoïsation des immigrés plus « voulue » que « subie ». » On objectera que Dimitri Casali a co-écrit un livre consacré aux « immigrés qui ont fait la France ». Mais la co-auteure (Liesel Schiffer) s’est depuis deux ans désolidarisé de Dimitri Casali dans une tribune intitulée « Loin de Dimitri Casali ». Enfin, il est courant depuis l’élection de Nicolas Sarkozy de dresser le portrait d’une France accueillante (ce qui n’a pas toujours été le cas) et des populations accepter de « s’intégrer » pour mieux fustiger une immigration actuelle qui, elle, refuserait.
  4. Le chiffre avancé par Dimitri Casali semble être tiré du livre de F. Bluche, La Vie quotidienne au temps de Louis XVI, Hachette, 1980, p. 24, qui ne prend en compte que les seuls employés de la Ferme générale qui peuvent être difficilement qualifiés de fonctionnaires vu qu’ils travaillaient pour des particuliers. Merci à Fadi El Hage de nous avoir indiqué ces références.
  5. « Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 (…) crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…) » et « Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général. » Le lecteur attentif aura compris que Dimitri Casali met en parallèle les nobles de 1789 et les fonctionnaires actuels.
  6. On pourrait d’ailleurs se demander en quoi la Monarchie absolue était paralysée par « l’immobilisme démocratique » ?

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