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Les Historiens de Garde – nouvelle édition de poche

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Trois ans après sa sortie, une nouvelle édition augmentée d’une postface inédite des Historiens de garde, de Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national,  paraît grâce aux soins des éditions Libertalia. Un livre toujours d’actualité, en ce début de 2016 qui marque encore une fois une offensive des tenants d’un récit identitaire du passé.
Les Historiens de Garde
William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin,
Préface de Nicolas Offenstadt
Editions Libertalia, 10 euros.

La nouvelle offensive des historiens de garde

Depuis quelques années, chaque rentrée voit les historiens de garde reprendre leur offensive contre l’histoire scolaire. Il y avait eu en 2010 une pétition adressée à Luc Chatel, « Notre histoire forge notre avenir », lancée à l’initiative de Dimitri Casali, et signée entre autres par Max Gallo, Stéphane Bern et Eric Zemmour ; la sortie en 2011 de L’Altermanuel d’histoire de France du même Casali, qui avait bénéficié d’un impressionnant relais médiatique ; puis en 2012 les dossiers du Figaro Magazine et du Figaro Histoire, ce dernier appelant ouvertement au retour du roman national à l’école…tout en faisant la promotion du dernier Casali, L’histoire de France interdite.

Cette année, l’offensive a été lancée sur deux fronts, et avec les méthodes bien connues des historiens de garde : tir de barrage médiatique, et enchaînement de contrevérités. Une fois encore, cela a coïncidé avec la sortie d’un ouvrage de Dimitri Casali, mais également avec une polémique (en grande partie fabriquée) sur l’allègement des programmes d’histoire en 3e et en Terminale.

CASALI ET LE « VIEILLARD PÉTAIN »

Le compte twitter de Franck Ferrand le 2 septembre
Le compte twitter de Franck Ferrand le 2 septembre

Dès le 2 septembre, Franck Ferrand a ouvert le feu en invitant Dimitri Casali dans son émission « Au cœur de l’histoire » (sur Europe 1), pour une véritable opération de communication ayant pour objet la réédition par Armand Colin du célèbre manuel Lavisse, « augmenté » par l’historockeur.

L’émission a surtout valu pour les propos de Casali et sa manière d’envisager l’histoire. Le début de l’intervention des deux hommes est consacré à la déploration du temps perdu de Lavisse, une époque où, selon les historiens de garde, les gens connaissaient mieux leurs leçons que maintenant :

Ce manuel [le Petit Lavisse] expliquait correctement 2000 ans d’histoire comme si un lien charnel reliait tous les Français entre eux et leur donnait envie de continuer ce lien.

L’histoire est donc assimilée à la célébration des liens charnels, voire sanguins, comme le prouve la suite de l’intervention de Dimitri Casali :

Lavisse fait appel aux sentiments, à l’émotion, c’est-à-dire que cette histoire, il s’agit de chair et de sang. Comme il dit, il s’agit de la chair de notre chair et du sang de notre sang. Quand il fait parler Jeanne d’Arc par exemple, il dit « Jeanne d’Arc a redonné courage à Charles VII, parce que cette petite paysanne avait compris que la France était un vieux pays, elle lui a parlé de saint Louis et de Charlemagne parce que cette fille du peuple savait que la France avait été grande. » C’est magnifique. Et ensuite, il donne des exemples. Moi-même, quand je parle du maréchal Pétain, j’ai expliqué qu’il avait 86 ans quand il prend… euh… quand il est nommé chef de l’État français, et 86 ans, c’est un naufrage.

On reconnaît bien ici la volonté des historiens de garde d’une histoire « incarnée ».  Toutefois, le passage, cité in extenso (moins les interruptions de Franck Ferrand) mérite que l’on s’y attarde. Passer des liens du sang à Jeanne d’Arc est pour le moins déroutant. Mais c’est surtout l’allusion, dans la suite du discours, à Philippe Pétain qui interroge. On peut se demander ce qu’elle vient faire là, surtout que Dimitri Casali, sur une radio nationale, se contente tranquillement de reprendre la thèse du « détournement de vieillard » lancé notamment par les avocats du Maréchal lors de son procès en 1945 et repris par de Gaulle dans ses mémoires de guerre pour des raisons électoralistes. Depuis, nombre d’historiens ont montré que Pétain était pleinement conscient de ses actes et qu’il avait souvent impulsé la politique vichyste (notamment les lois antisémites). À force de vouloir promouvoir une légende dorée en lieu et place de l’histoire de France, Dimitri Casali en vient presque à réhabiliter des figures douteuses.

 LE PETIT LAVISSE « CONFISQUÉ PAR CASALI »

Capable de publier au moins un livre par an (à l’instar d’autres historiens de garde comme Max Gallo), Dimitri Casali s’est attaqué cette année au célèbre Petit Lavisse, bénéficiant, et c’est là que le bât blesse, de l’aide des éditions Armand Colin.

Plusieurs voix se sont élevées contre cette réédition, et nous nous contenterons ici de les relayer et d’y renvoyer le lecteur pour plus de détails.

casali_lavisseSur le site Aggiornamento Hist-Géo1, Éric Fournier montre les « accents crypto-barrésiens » de l’introduction de l’ouvrage de Lavisse par Casali. Puis, dans la prolongation de Lavisse, une vision quelque peu tronquée de la Seconde Guerre mondiale, avec l’absence des termes « collaboration » et « collaborateurs » (on se rappelle de la timidité d’un Lorànt Deutsch à évoquer l’occupation dans Métronome, et sa réhabilitation, aux côtés de Patrick Buisson, de l’homme Céline) et l’insistance sur la sénilité de Pétain que nous avons évoquée plus haut. A l’instar d’un Jean Sévillia, l’un des historiens de garde les plus radicaux, Dimitri Casali se permet des allusions douteuses aux rapports entre la France et les musulmans. Il prend pour cela l’exemple de la guerre d’Algérie, et la volonté de De Gaulle d’accorder l’indépendance à l’Algérie à cause de l’impossibilité « d’intégrer les huit millions de musulmans algériens ». Pour citer Éric Fournier, Casali réduit donc la guerre d’Algérie à « une incompatibilité essentialisée entre les « musulmans » et la « communauté nationale » malgré tous ses efforts pour les intégrer ». Cela n’a rien d’anodin quand on sait que Casali est l’un des contributeurs réguliers du site extrême-droite Boulevard Voltaire, où l’on revendique fièrement son « islamophobie », et où un Jamel Debouzze est qualifié de « rat de Trappes »…

« LA RÉGRESSION ÉDITORIALE » D’ARMAND COLIN

Autre problème, et non des moindres : le rôle des éditions Armand Colin. C’est une « faute », selon Éric Fournier, d’avoir donné une légitimité à Casali. Nicolas Offenstadt parle lui de « régression éditoriale2 ». Si une réédition de Lavisse pouvait se justifier, pourquoi en confier les clés, et plus encore le prolongement, à quelqu’un comme Dimitri Casali ? Éric Fournier parle d’imprudence dans la démarche d’Armand Colin, mais on peut y voir également un cynisme opportuniste et s’interroger sur les liens entre les historiens de garde et une partie du monde éditorial. Si l’on ne peut guère s’étonner que les éditions Michel Lafont publient Métronome, il y a de quoi s’inquiéter quand Armand Colin, jusqu’ici éditeur sérieux d’ouvrages de sciences humaines, prenne le risque de se délégitimer en se mettant à son tour à relayer les travaux des historiens de garde.

LE PRÉTEXTE DE L’OFFENSIVE : L’ALLÈGEMENT DES PROGRAMMES

Marronnier des historiens de garde à chaque rentrée scolaire : les programmes. Cette année, le prétexte a été tout trouvé avec la décision du ministère de les alléger, notamment celui de 3e. Principale explication, une chute des résultats au DNB (le mythique Brevet des collèges) due à l’impossibilité de terminer les programmes, mais surtout à un choix de questions et de thèmes inique. Raison à peine évoquée par les médias…

Toutefois, ce qui nous intéresse ici, c’est la manière avec laquelle les historiens de garde et leurs relais médiatiques ont profité de cette décision pour asséner une nouvelle fois leur discours sur les errements d’une histoire scolaire dévoyée, avec le soi-disant abandon de la chronologie et la mise au placard des « grands hommes ».

POUR CASALI, UNE HISTOIRE PRISONNIÈRE DES « LOBBYS » ET DES « ANCIENS TROSKYSTES »

Du Figaro au Point, en passant par L’Express ou le site Atlantico.fr, voire France Télévision qui se distingue, comme d’habitude, par son soutien aux promoteur du roman national, toute la presse qui se fait le relais du discours des Casali et consorts a été mobilisée.

Pour commencer, Casali lui-même, sur le site Atlantico3, qui crie à la « supercherie » et au « bricolage », mais surtout pointe le rôle de « lobbys », coupables de remplacer les grands hommes et la chronologie (« grand-mère de l’Histoire ») par des « thématiques compassionnelles qui ont remplacé l’essence de l’Histoire ». De nouveau, il insiste sur Vichy, dont il juge qu’elle est représentée dans les programmes comme « une dictature de nature franco-française, déconnectée de l’Occupation allemande ». En plus des « lobbys », les coupables désignés sont les fameux « pédagogues » autour de Philippe Meirieu et des « anciens trotskystes », qui ont fait de l’histoire une « étude froide et atomisée ».

GALLO : « CLOVIS, SOCLE DE CONSTRUCTION DE LA NATION »

L’académicien Max Gallo, auteur du bréviaire des historiens de garde (L’Âme de la France : Une histoire de la Nation des origines à nos jours, Fayard, 2007), a lui aussi profité de la polémique pour revenir sur la prétendue disparition de la chronologie au profit d’une histoire thématique. Interviewé par Le Figaro (6 septembre 2013), il laisse croire qu’on n’apprend plus aux élèves à se repérer dans le temps, une contrevérité matraquée régulièrement par les historiens de garde. Mais il insiste surtout sur la nécessité, selon lui, d’un retour à l’histoire de France, car l’histoire serait d’abord « un enracinement ». Comme les autres historiens de garde, notamment Casali et Deutsch, Gallo déplore l’enseignement de l’histoire de l’Afrique (10% du programme d’histoire de 5e) au détriment de l’histoire de France. Il va encore plus loin en appelant à faire de Clovis « le socle de la construction de la nation pendant plusieurs siècles ».

Craint-il « le grand effacement », étape indispensable avant « le grand remplacement », comme s’en inquiète le site Boulevard Voltaire4.

LES CONTREVÉRITÉS DE FRANCK FERRAND

Stéphane Bern a reçu Dimitri Casali le 12 septembre 2013 sur RTL.
Stéphane Bern a reçu Dimitri Casali le 12 septembre 2013 sur RTL.

Parmi les réactions à cet allègement des programmes, on pourrait également citer Stéphane Bern (sur BFM TV. Il a également a reçu Dimitri Casali sur RTL), mais c’est l’attitude de Franck Ferrand qui est, sans surprise, la plus caractéristique des méthodes des historiens de garde.

C’est sur Europe 1 (chez Thomas Sotto), puis sur son site qu’il a réagi, par une chronique5 qui, à la fois ressasse les obsessions des historiens de garde, et glisse quelques contrevérités sur la réalité de ces allègements, pour une fois encore laisser croire que des sujets qu’il juge fondamentaux sont abandonnés.

En effet, Franck Ferrand prétend que « les chapitres de la mondialisation, de la construction européenne, du rôle du général de Gaulle en juin 1940 » ont été abandonnés… ce qui est totalement faux ! Pour les détails, nous renvoyons à la lettre ouverte de la forumeuse Al-Qalam sur le site Néoprofs6, où les réactions ont d’ailleurs été vives contre les contrevérités de Ferrand, tout comme ses curieuses méthodes de triage des commentaires gênants sur son site.

Franck Ferrand, un "dissident" qui s'est vu remettre le grade de chevalier des arts et des lettres le 20 juin 2012 en présence de François Sarkozy.
Franck Ferrand, un « dissident » qui s’est vu remettre le grade de chevalier des arts et des lettres le 20 juin 2012 en présence de François Sarkozy.

Sur son site, l’animateur revient une nouvelle fois sur « la mise hors-jeu de Jeanne d’Arc, de Louis XIV et de Napoléon » au profit du royaume de Monomotapa, et fait référence à une enquête très critiquée sur la baisse du niveau des élèves en histoire, l’expliquant par la perte d’une histoire incarnée et surtout de « repères chronologiques et biographiques ».

Dernier acte de l’offensive Ferrand, la victimisation. Comme il l’écrivait dans son Histoire interdite, Ferrand se veut le relais des petites gens, à qui on cache la vérité, et pour cela il prend des risques. Il a donc vu dans les critiques, notamment celles des enseignants en histoire du site Néoprofs, une violente « prise à parti » contre son « point de vue dissident sur l’école7 ».

Alors que les programmes d’histoire vont probablement être revus d’ici la fin de la mandature actuelle (la dernière version ne date que de 2008), on voit qu’il faut rester vigilant. Les historiens de garde, avec une réelle puissance médiatique, ne cessent d’attaquer les angles récents des programmes (qu’on peut évidemment discuter, mais pas forcément pour les mêmes raisons), réclamant de plus en plus ouvertement un retour à un certain roman national, fait de grands hommes et de chronologie, mais surtout libéré du prétendu danger d’une autre histoire, particulièrement celle venue « d’ailleurs ».

En attendant, on méditera sur l’une des sorties dont Dimitri Casali a le secret, qui nous éclairera peut-être sur le projet des historiens de garde pour le rôle de l’histoire à l’école :

 Nous nous sommes nos ancêtres, dans le passé, et nous, et nous nous serons nos descendants dans le futur8.

Christophe Naudin

  1. É. Fournier, « Le Petit Casali-Lavisse : les liaisons dangereuses d’Armand Colin ». Lire aussi L. De Cock, « Pédagogie ou usurpation ? A propos du Petit Lavisse confisqué par Dimitri Casali ».
  2.  N. Offenstadt, « Du ridicule à la régression », Le Monde des Livres, 5 septembre 2013.
  3. D. Casali, « Exit la chronologie : comment la refonte des programmes transforme les cours d’histoire en une machine idéologique »
  4. J. Karl, « Histoire à l’école : le grand effacement s’accélère ! ». Précisons que la notion de grand remplacement est tirée de l’ouvrage éponyme de Renaud Camus (2011) dans lequel il assimile l’immigration à une « contre-colonisation ». R. Camus a appelé à voter pour Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2012.
  5. F. Ferrand, « L’humeur du 8 septembre : Colin-Maillard »
  6. A. Qalam, « Lettre ouverte à Franck Ferrand, ou comment De Gaulle a disparu des programmes ». Voir aussi le topic suivant.
  7. F. Ferrand, « Humeur : chaud et froid »
  8. C dans l’air, 12 septembre 2013.

Quelle histoire se cache derrière Dimitri Casali…

Pour Dimitri Casali, l’Histoire est avant tout un réservoir d’arguments pour justifier ses opinions politiques. En résumé, la France est malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie. Analyse d’une interview d’anthologie.

Dimitri Casali ne fait pas de l’histoire pour rien. Reproduisant le même livre à chaque rentrée afin de tonner contre la soi-disant disparition de l’histoire nationale1, devenu directeur de collection à L’Express, spécialiste autoproclamé de tout (et donc de rien), son combat est devenu une petite entreprise qui ne connaît pas la crise.
Mais Dimitri Casali écrit aussi de l’histoire dans une perspective purement politique. Pour lui, le passé n’est qu’un réservoir d’argument pour justifier des partis pris contemporains. Un exemple frappant de cette méthode reste l’interview croisée qu’il a donnée au site Altantico.fr le 7 janvier 2013, intitulée « 1789-2013 : la crise va-t-elle nous mener vers une nouvelle Révolution ? »

Un constat : C’est la crise !

On aura compris, dans l’interview, Dimitri Casali compare la France contemporaine à celle de 1789.

En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnements du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre.2

"Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation." D. Casali. On remarquera l'aigle impérial porté en badge par Dimitri Casali.
« Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation. » D. Casali.

On pourrait s’interroger sur la validité d’une telle comparaison. Mais D. Casali use de l’analogie historique non pas pour éclairer, pour faciliter la compréhension, mais pour faire un constat : selon lui, la situation est bien pire qu’en 1789… et ce pour plusieurs raisons.

Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage…), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). À cela vient aujourd’hui s’ajouter une crise supplémentaire à savoir la crise identitaire qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.

La crise identitaire, depuis Max Gallo, est devenue un véritable leitmotiv des historiens de garde (notamment de Stéphane Bern). Cette ellipse, pleine de sous-entendus, permet évidemment de pointer du doigt l’immigration actuelle (et pas n’importe laquelle3) qui affaiblirait l’identité de la France (tout en sous-entendant que l’Ancien Régime était plus stable). Mais Dimitri Casali ne s’arrête pas en si bon chemin.

La situation est même d’un certain point plus paralysante qu’a l’époque puisque Louis XVI contrôlait le pays avec 60 000 fonctionnaires (pour 26 millions d’habitants) alors qu’ils sont aujourd’hui 6 millions en comptant le personnel des hôpitaux (pour 65 millions d’habitants NDLR). Ce chiffre illustre parfaitement notre gabegie de la dépense d’État et il est aberrant de voir que nous continuons dans ce contexte de recruter dans les collectivités territoriales. Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général.

Dimitri Casali sait pertinemment que le faible nombre de « fonctionnaires » sous Louis XVI s’explique du simple fait que la plupart des missions régaliennes, y compris la perception des impôts, étaient confiées à de riches particuliers (à travers des institutions comme la Ferme générale). L’armée était en partie constituée de mercenaires, et l’éducation publique, la santé, les transports publics, les pompiers, la police, les services culturels, les musées, les bibliothèques publiques, les archives publiques étaient inexistants ou presque4. Est-ce à cela qu’il faudrait revenir ? Sans doute si on suit le raisonnement de Dimitri Casali qui voit dans les fonctionnaires des « privilégiés » dignes de la noblesse5 Le cantonnier payé à peine plus que le SMIC appréciera.

La solution : l’homme providentiel.

La crise est donc, pour D. Casali, bien plus importante qu’en 1789. mais que les lecteurs se rassurent, il a trouvé la solution :

Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2013 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République.

On connaissait la fascination de D. Casali pour les « grands hommes », Napoléon en tête. Dans ces livres, il en fait les seuls héros de l’histoire de France, la source de toutes les réussites, de toutes les gloires au point d’être parfois très indulgents avec eux. Ainsi a-t-il expliqué sur les ondes d’Europe 1 le 2 septembre 2013, au micro de Franck Ferrand, la dictature pétainiste par une prétendue sénilité de Philippe Pétain.

De cette fascination pour les grands hommes, D. Casali en tire les conséquences politiques. Seul l’un d’entre eux peut sauver la France (de l’immigration et des fonctionnaires, si l’on suit son raisonnement) et son avènement est assimilé à un « changement radical ». Pas question d’injecter plus de démocratie, pas question de réformer la république, ces deux mots n’apparaissent pas dans ces propos, sauf dans l’exergue de l’interview (rédigée par le site Atlantico.fr) :

Comme la Monarchie absolue avant elle, la Ve République, plombée par une dette étouffante et paralysée par l’immobilisme démocratique6

La France, malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie… voilà une des belles leçons de l’histoire façon Dimitri Casali.

William Blanc

PS : Dimitri Casali a été invité le 10 novembre 2011 par l’UMP à son atelier sur La nation (organisé à la demande du courant populiste de la Droite Populaire). Il est intéressant de noter que les propos de D. Casali (malheureusement pas rapportés in extenso par Le Monde) ont choqué y compris dans les rangs de l’UMP.

Dimitri Casali à l'atelier de l'UMP le 10 novembre 2011.
Dimitri Casali (à gauche) à l’atelier de l’UMP le 10 novembre 2011.
  1. Sur le dernier ouvrage en date, voir les excellents articles d’Éric Fournier et de Laurence de Cock parus sur le site aggiornamento.hypotheses.org
  2. Les passages en gras sous de notre fait.
  3. Selon un article du Monde daté du 10 novembre 2011 (voir le post-scriptum de notre article), Dimitri Casali aurait fustigé « un déficit d’intégration, une mauvaise maîtrise du français et une ghettoïsation des immigrés plus « voulue » que « subie ». » On objectera que Dimitri Casali a co-écrit un livre consacré aux « immigrés qui ont fait la France ». Mais la co-auteure (Liesel Schiffer) s’est depuis deux ans désolidarisé de Dimitri Casali dans une tribune intitulée « Loin de Dimitri Casali ». Enfin, il est courant depuis l’élection de Nicolas Sarkozy de dresser le portrait d’une France accueillante (ce qui n’a pas toujours été le cas) et des populations accepter de « s’intégrer » pour mieux fustiger une immigration actuelle qui, elle, refuserait.
  4. Le chiffre avancé par Dimitri Casali semble être tiré du livre de F. Bluche, La Vie quotidienne au temps de Louis XVI, Hachette, 1980, p. 24, qui ne prend en compte que les seuls employés de la Ferme générale qui peuvent être difficilement qualifiés de fonctionnaires vu qu’ils travaillaient pour des particuliers. Merci à Fadi El Hage de nous avoir indiqué ces références.
  5. « Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 (…) crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…) » et « Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général. » Le lecteur attentif aura compris que Dimitri Casali met en parallèle les nobles de 1789 et les fonctionnaires actuels.
  6. On pourrait d’ailleurs se demander en quoi la Monarchie absolue était paralysée par « l’immobilisme démocratique » ?

Septembre et octobre avec les auteurs des « Historiens de garde »

En cette rentrée 2013, alors que les tenants du roman national lancent une nouvelle offensive médiatique, nous vous proposons de prendre un peu le temps de l’histoire.

Entre Histoire et mémoire(s) – Rencontre à la librairie l’Atelier

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C’est avec plaisir que nous avons débattu, à l’invitation de la librairie l’Atelier, avec Philippe Joutard, auteur de Histoire et mémoires, conflits et alliance.
L’opposition entre Histoire et mémoire(s) semble a priori totale. D’un côté, un rapport objectif avec le passé, appuyé sur une démarche scientifique, et de l’autre, un lien subjectif avec le passé, basé sur l’émotion. L’immense intérêt du livre de Philippe Joutard est de dépasser ce clivage simpliste. Oui, les mémoires, lorsqu’elles sont ignorées, étouffées par un récit dominant, gagnent tout à se faire histoire et les historiens ont tout intérêt à écouter ces récits qui pourront leur apprendre beaucoup. C’est ainsi que Philippe Joutard a consacré une partie de sa carrière à étudier les récits oraux tournant autour de la révolte des camisards.Joutard_histoire_et_memoire
Reste à savoir si les ouvrages des historiens de garde et, plus largement, le roman national relèvent de la mémoire et de l’Histoire, C’est ce dont nous avons débattu, entre autres choses, lors de notre rencontre. Nos analyses, malgré quelques divergences, se sont rejointes sur plusieurs points.
— le roman national est une mémoire, mais imposé « d’en haut ». Cela est particulièrement vrai en France où le récit national a été très tôt une chasse gardée de l’État (monarchique puis républicain)
— les travaux des historiens de garde participent de ce mouvement. Néanmoins s’ajoute à cela une dimension commerciale. Il ne s’agit plus seulement de promouvoir le nationalisme, ni de proposer un récit unificateur, mais de créer un sentiment de nostalgie (« c’était mieux avant ») pour mieux vendre de l’image d’Épinal.
Nous remercions les nombreuses personnes (une trentaine) venues débattre avec nous et la librairie l’Atelier pour l’excellent accueil (suivi d’un excellent buffet).
Au passage, nous réaffirmons notre soutien aux libraires de quartier qui permettent encore aux lecteurs de rencontrer des auteurs et d’avoir accès et des livres alternatifs et critiques. Nombreuses ont été celles qui nous ont ouvert leurs portes, à la différence de la grande distribution (Fnac, Virgin) qui n’ouvre ses portes qu’au Best Sellers dont font malheureusement partie les ouvrages des historiens de garde.

PS : merci à Natacha de l’Atelier pour son accueil et à Alain Frappier pour la vidéo.

Les rendez-vous des « Historiens de garde » en juin…

Dick Tracy Historiens de garde

Avant la grande relâche de l’été, profitez du mois de juin pour venir aux prochains rendez-vous des Historiens de garde.

    • le 6 juin à 19 heures, venez débattre avec les auteurs des Historiens de garde à la librairie Chroniques, 8 rue Guichard, 94230 Cachan (RER Arcueil-Cachan).
    • le 18 juin à 19 heures, vendez débattre avec les auteurs à la mairie du 2e arrondissement, 8 rue de la Banque, 75002 Paris (Métro Bourse).
    • le 27 juin à 20 heures, débat à la librairie l’Atelier, 2 bis, rue du Jourdain, 75020 Paris (Métro Jourdain) en présence des auteurs et Philippe Joutard, auteur de Histoire et mémoires, conflits et alliance (La Découverte, 2013).

Venez nombreux-ses avec vos questions !

France 5 et les historiens de garde, suite et fin

Voilà l’extrait complet de l’émission Média le Mag’ du 19 mai 2013 :
L’inégalité du dispositif, que ce soit en temps de parole ou en présence sur le plateau (Aurore Chéry n’a pas pu porter la contradiction directement sur le plateau) est flagrante, tout comme la promotion déguisée de Stéphane Bern et de Franck Ferrand par l’équipe de Média le mag’ (rappelons que Bern et Ferrand ont chacun une émission sur France télévisions).

Franck Ferrand et Molière :

Nous avons également reçu un mail fort intéressant quant à la théorie selon laquelle les pièces de Molière auraient été écrites par Corneille. Elle a été maintes fois démontée par de nombreux spécialistes de la question. Voir par exemple cette mise au point de Georges Forestier, professeur à Paris IV.
Si Franck Ferrand s’acharne à défendre une pareille théorie, c’est qu’elle lui permet d’adopter la posture de l’homme solitaire opposé à l’institution (ici, l’université), rôle qui attire le chaland et fait vendre, surtout si l’on prétend en plus dévoiler une vérité cachée (par la susdite institution, bien sûr).

Les auteurs des Historiens de garde

Deux historiens de garde sur France 5

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Après le grand numéro de journalisme chien de garde offert par Maïtena Biraben à Lorànt Deutsch sur Canal Plus (Le Supplément du 14 avril dernier), l’annonce de la venue de Franck Ferrand et Stéphane Bern sur le plateau de l’émission Médias Le Magazine (France 5) ne pouvait pas laisser indifférent.
Deux des plus populaires historiens de garde, sur la chaîne qui avait diffusé la version télévisée du Métronome, il y avait de quoi s’attendre à un grand moment de désinformation. Pourtant, même si l’exercice fut avant tout promotionnel, l’intervention de l’historienne Isabelle Veyrat-Masson a apporté un brin de contradiction aux deux animateurs, qui n’en avaient pas vraiment l’habitude.

Bern et Ferrand étaient invités pour parler de leurs émissions à succès diffusées sur le service public : Secrets d’histoire et L’ombre d’un doute. La première partie du sujet s’est concentrée sur leur vision de l’histoire et de sa diffusion médiatique. Premier point intéressant, les deux historiens de garde ont avoué leur proximité (ils se connaissent depuis vingt ans et échangent sur leurs travaux) et leur complémentarité (« complice et solidaires comme les doigts de la même main », dixit Bern). Deuxième point, ils ont totalement assumé leur façon d’aborder l’histoire, confirmant ce que nous disons dans notre ouvrage : Bern « raconte des histoires » tout en s’appuyant sur des interventions d’historiens, qui n’auraient aucune audience sans lui ; Ferrand défend des travaux d’historiens rejetés par l’institution, et révèle des vérités historiques, qu’il oppose à « la thèse officielle » ! Les deux s’appuyant sur leur succès d’audience pour valider la qualité de leurs émissions.

Le moment le plus intéressant fut cependant la partie consacrée à notre critique, et l’intervention d’Isabelle Veyrat-Masson. Précision loin d’être anecdotique : nous avions droit à 45 secondes de parole, contre une quinzaine de minutes pour les historiens de garde. Confirmation, après l’épisode Le Supplément de l’inégalité de traitement. L’introduction de Thomas Hugues, présentant notre démarche comme « pas sympa » donna le ton. La réponse de Ferrand eut le mérite de la clarté au sujet du roman national : « j’assume cette dimension de la belle légende qu’il faut mettre en valeur qui permet à tout le monde de se retrouver ; ça fait aussi partie des missions de l’histoire d’offrir des valeurs communes aux gens ». Mieux, il se présenta comme « celui qui affronte la communauté historienne et apporte de nouveaux éclairages », employant au passage le fameux terme si cher à Lorànt Deutsch, « éclairage ». Bern, de son côté, revendiqua une fois de plus son statut de « raconteur d’histoires », tout en étant le relais des « grands historiens ».
La réaction d’Isabelle Veyrat-Masson est à noter, et même à saluer, malgré le peu de temps qu’elle a eu. L’historienne spécialiste de la médiatisation de l’histoire a tout d’abord fait le parallèle entre les deux animateurs et l’émission « La caméra explore le temps », insistant sur le jeu de rôle entre Castelot et Decaux sur leurs soi-disant différends, provoquant le désaccord de Ferrand. Elle parla même de « scénarisation ». Elle critiqua ensuite l’approche de Bern, centrée sur les grands hommes, et oubliant « l’histoire des pauvres ». Bern et son « chromosome populaire » (sic) répondit alors « qu’à travers les grands hommes, on raconte une époque », mais surtout qu’il faut effectivement « scénariser » et « être didactique », pour « ramener les Français à leur histoire [pour] les rassembler ». Isabelle Veyrat-Masson enfonça le clou, opposant « l’envie d’y croire » de Bern, et « l’anti-mythe » que serait l’histoire. Et Ferrand de rebondir par une critique de l’histoire scolaire, « dématérialisée », « désincarnée », Bern revendiquant le fait qu’il remettait au cœur les « trois passions humaines : le sexe, le pouvoir et l’argent »…

bern et ferrand

Cette émission s’est donc avérée bien plus intéressante que l’opération contre-attaque et brosse à reluire offerte par Canal Plus à Lorànt Deutsch. Alors que ce dernier a essentiellement déroulé son discours mensonger habituel à notre endroit, se revendiquant tout de même historien, l’émission de France 5 a permis de valider dans le détail ce que nous disons dans le livre sur la façon avec laquelle Bern et Ferrand estiment qu’il faut transmettre l’histoire, et la mission (le terme est employé) de celle-ci dans les médias et plus largement la société. Même si nous avons eu droit avant tout à une opération de promo, et que notre travail a été grossièrement résumé, les propos d’Isabelle Veyrat-Masson ont permis, peut-être pour la première fois, d’apporter un début de contradiction à deux des plus médiatiques historiens de garde. On ne va donc pas faire la fine bouche…

Les auteurs des Historiens de garde

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Le site des historiens de garde : mode d’emploi

Les historiens de garde, c’est plus qu’un livre, c’est aussi un site qui a deux fonctions.

Bonne lecture.

Les auteurs

Les Historiens de garde sort le 27 mars 2013

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À la publication du Métronome de Lorànt Deutsch, les médias saluent unanimement le travail d’un passionné d’histoire sachant se mettre au niveau du public. Le comédien, porté par son aura populaire, est ainsi intronisé comme une véritable autorité historienne à l’image de toute une lignée d’historiens médiatiques, comme Alain Decaux.

Pourtant, l’approche de Deutsch est truffée d’erreurs qui n’ont rien d’anodin : apologie de la monarchie, nostalgie d’un passé fantasmé, révolutions réduites à des instants de terrorisme sanglant, etc. Elles participent du retour en force de récits orientés, portés, entre autres, par des politiques comme Patrick Buisson (ancien directeur de Minute, directeur de la chaîne Histoire et ex-conseiller politique de Nicolas Sarkozy), qui a travaillé à la publication du Paris de Céline avec le comédien et est très impliqué dans cette réécriture constante de l’histoire.

Les auteurs s’inquiètent ici du réveil de cette histoire nationale dont Lorànt Deutsch est le poste avancé. Nationale, car il n’y est question que de la France au sens le plus étroit du terme. Nationale, car l’histoire n’y est envisagée que comme un support au patriotisme le plus rétrograde. Alors que les sciences historiques ne cessent de s’ouvrir à des horizons plus larges, cet essai tire la sonnette d’alarme contre le repli identitaire de ces historiens, fruit d’une inquiétude face au passé qu’eux seuls n’arrivent pas à assumer.

Préface de Nicolas Offenstadt.

William Blanc est doctorant en histoire médiévale et contribue au site goliards.fr ; Aurore Chéry est doctorante en histoire et spécialiste du XVIIIe siècle ; Christophe Naudin enseigne l’histoire-géographie et contribue au site histoire-pour-tous.fr. Nicolas Offenstadt est maître de conférences à l’université Paris I.

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