Le Figaro Histoire : un vrai conte de fées…

Figaro Histoire Bainville SévilliaLa rentrée 2013 est décidément riche en émotions. Après Dimitri Casali et Franck Ferrand, voilà que les historiens de garde bénéficient à nouveau d’un soutien médiatique de poids avec le groupe Le Figaro.
Lorànt Deutsch a ainsi bénéficié de la couverture du Figaro magazine pour faire passer sa vision rétrograde de l’histoire (de France, forcément de France, le reste n’existant pas). Mais c’est surtout le Figaro Histoire n° 10 (octobre 2013) qui s’illustre dans le merveilleux. Oui, le merveilleux, vous avez bien lu. Car le Figaro Histoire s’apparente à un véritable conte de fées.
Pas convaincus ? Laissez-moi vous expliquer.
On pourra tout d’abord s’étonner qu’une publication historique consacre son éditorial à un panégyrique d’Hélie de Saint Marc, figure de l’Algérie française, décédé en août 2013. Sans doute que l’actualité des sciences historiques était à ce point vide qu’il a fallu au rédacteur en chef, Michel De Jaeghere, se creuser la tête pour célébrer un homme qui “appelait son interlocuteur aux réalités invisibles qui donnent sa valeur à l’existence”. Le conte de fées, round 1.

Jacques Bainville (1879-1936)
Jacques Bainville (1879-1936)

Quelques pages plus loin, voilà la longue interview accordée par Jean Sévillia en l’honneur de la publication de son nouveau livre : Histoire passionnée de la France1. Jean Sévillia ne risque pas grand-chose en occupant les colonnes du Figaro Histoire : il en est membre du conseil scientifique (et on se demande bien à quel titre). Aussi célèbre-t-il, sans la crainte d’être repris, Jacques Bainville, journaliste antisémite d’Action française, qui a commis plusieurs récits historiques durant l’entre-deux-guerres qui servent aujourd’hui de bréviaire à nombre d’historiens de garde, de Max Gallo à Lorànt Deutsch2. Pour le reste, les mensonges de Jean Sévillia ne surprennent plus. La réforme de l’histoire à l’école entretiendrait « l’idée folle que les Français d’origines sont des descendants de bourreaux et de criminels. » (p. 23), alors qu’ « On [mais qui est ce « on » ?] engage les enfants issus de l’immigration à se tourner vers leur passé communautaire » (idem)3. Des propos qui n’ont rien d’étonnant dans la bouche d’un homme pour qui l’histoire (de France) n’apprend qu’à “aimer par-dessus tout l’unité”. Pour l’esprit critique, pour la réflexion, pour la formation du citoyen, sans même évoquer la compréhension des sociétés passées, on repassera. Le conte de fées avant tout…
Mais pas le temps de souffler, car la magie continue. Voilà, p. 25, la célébration (on n’ose pas parler de critique) du livre de Patrice Gueniffey. Un historien, un pur, un vrai, nous rétorquera-t-on. Oui, un vrai historien qui a affirmé sans sourciller que Jacques Bainville n’était pas antisémite, aidant ainsi à la réhabilitation d’un homme dont l’œuvre “historique” faisait voir rouge des historiens comme Marc Bloch4. Pas étonnant que les travaux de Gueniffey (qui, dans sa biographie de Bonaparte, défend une histoire incarnée, comprenez, centrée sur un grand homme) bénéficie des largesses du Figaro Histoire.
Attendez, ce n’est pas fini. Voilà une double page consacrée au comédien Maxime d’Abboville (p. 36-37), qui a mis en scène une leçon d’histoire de France au théâtre dont le texte est à la fois inspiré de Michelet, mais surtout, de Bainville, cité deux fois, qu’il trouve “trop intelligent”5. Eh oui, toujours le même Bainville qui revient encore et encore. Y aurait-il un message subliminal derrière cette répétition ? Un Bainville que le comédien transmet aux enfants avec joie et qui, selon lui, déclare à la sortie du spectacle que “si ça se passait comme ça à l’école, ils s’intéresseraient plus à leurs cours”. Salauds de profs, ils ne comprennent rien aux contes de fées !

Photo du spectacle de Maxime d'Abboville "Histoire de France". Costume daté, baguette de maître d'école, carte de classe ancienne, tout est fait pour que le spectateur soit plongé dans une image d'Épinal fantasmant un âge d'or de l'enseignement de l'histoire en France.
Photo du spectacle de Maxime d’Abboville « Histoire de France ». Costume daté, baguette de maître d’école, carte de classe ancienne à la Vidal de la Blache, tout est fait pour que le spectateur soit plongé dans une image d’Épinal fantasmant un âge d’or de l’enseignement de l’histoire en France.

Au rayon des curiosités, on appréciera la tribune de Jean-Louis Thiérot, ancien député suppléant UMP qui avait osé, dans le n°4 du Figaro Histoire, attribuer une citation de Pétain à Marc Bloch, historien, juif et résistant. Enfin, notons en troisième de couverture une publicité pleine page pour l’émission « Au cœur de l’histoire  » de Franck Ferrand. Tiens, c’est bizarre, ce nom me dit quelque chose…
Certes, quelques historiens participent au Figaro Histoire. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne sont pas légion6. Notons néanmoins la participation de Christophe Dickès, spécialiste de… Jacques Bainville (encore lui !) qui expliquait à qui voulait bien l’entendre que le journaliste d’AF n’avait pas été pro-mussolinien. Pour le reste, la plupart des intervenants sont des journalistes qui gravitent dans les sphères de la droite catholique. Michel De Jaeghere est ainsi membre de l’association Renaissance catholique (voir le post-scriptum).
Et le conte de fées, dans tout ça ? Mais, ma foi, c’est évident. À l’instar de la citrouille changée magiquement en carrosse, voilà, grâce au financement d’un sénateur milliardaire7, un fanzine nationaliste déguisé en publication historique respectable. Ou un peu de magie Disney revisitée par Charles Maurras.

William Blanc

PS : Le site de l’association catholique intégriste Renaissance catholique s’est mué en VRP pour Jean Sévillia au point d’en faire une star de son salon du livre 2013 où seront aussi présents Christophe Dickès (décidément), Philippe de Villiers, mais aussi Jean-Yves Le Gallou, ancien du GRECE et du Front National.

Jean sevillia_renaissance catholique_Figaro Histoire

  1. Perrin, 2013.
  2. À propos de Jacques Bainville, voir Les Historiens de garde, chapitre V.
  3. Mais où est-il allé chercher tout ça ? Dans quels programmes, dans quels manuels ?
  4. Voir à ce titre Les Historiens de garde, p. 163
  5. Bainville est l’auteur le plus récent sur lequel s’est appuyé d’Abboville pour son spectacle, les autres étant Chateaubriand, Michelet et Victor Duruy.
  6. Dans le dossier consacré aux Étrusques, deux seulement ont été sollicités.
  7. Serge Dassault, pour ne pas le nommer.

2 comments

  1. Ping : Le Figaro Histoire : un vrai conte de fé...
  2. Ping : Historiens de garde et polémique "Lorànt Deutsch" : un bilan médiatique et politiqueLes historiens de garde